Comment l'émergence d'une opinion publique nationale a-t-elle permis à la démocratie représentative de s'installer dans la durée ?

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Accroche   Il n'est pas rare qu'un ministre ou un autre responsable politique soit conduit à démissionner sous la pression de l'opinion publique, par exemple lorsqu'il est accusé d'avoir confondu l'intérêt public avec des intérêts privés. Ce genre de situation remet ainsi en cause les résultats d'élections passées sans attendre les suivantes, et peut apparaître problématique du point de vue du fonctionnement d'une démocratie apaisée. Pourtant l'opinion publique a joué et joue encore un rôle non négligeable en démocratie.

Définition de mot-clés
   - démocratie représentative :  idée selon laquelle la démocratie doit fonctionner grâce à l'élection de représentants du peuple, qui sont ensuite chargés de prendre des décisions en son nom.
- opinion publique :  un certain nombre d'avis qu'une grande partie de la population semble avoir en commun à un moment donné, au sujet de questions d'intérêt collectif
- démocratie :  façon d'organiser les décisions sur les questions d'intérêt collectif, dans laquelle selon l'étymologie du mot c'est le peuple qui doit exercer le pouvoir, mais cela suppose pour avoir un sens que la liberté d'expression et les autres libertés individuelles soient avant tout garanties: en plus du suffrage universel il faut donc une séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire), ainsi qu'une définition claire des règles applicables lorsque des contradictions existent entre plusieurs autorités à différents niveaux.

Rappel : il faut toujours annoncer en fin d'introduction les titres des parties principales du développement, juste après avoir posé explicitement la question du sujet. Il est souhaitable de reformuler cette dernière plutôt que de la recopier telle quelle dans l'introduction, et il faut si possible y associer une problématique, c'est-à-dire la décomposer en deux, trois ou quatre questions.


1/ Il faut la combinaison du système représentatif et de l'expression d'une opinion publique pour entretenir l'idéal démocratique, qui pacifie les arbitrages politiques


 a) La démocratie est un idéal qui pacifie, en la légitimant, la prise de décisions sur les questions d'intérêt collectif

Savoir qui a le droit et à quelle heure, pour tirer l'eau d'un puits isolé dans une région aride, c'est un exemple typique de question politique. Il s'agit d'un problème qui concerne un certain nombre de personnes, et l'intérêt de chacune est en partie opposé à celui des autres car elles ne peuvent pas toutes accéder au puits en même temps, mais elles ont aussi un intérêt commun à ce que le puits soit entretenu et qu'il n'y ait pas trop de violences pour l'utiliser.

Une façon de résoudre ce genre de problème est de laisser le plus fort se servir en priorité et décider pour tous les autres : qui a droit, quand, et en échange de quelle participation à l'entretien du bien commun. Cette solution spontanée limite un peu le risque de violences, mais le sentiment d'injustice fait quand même régulièrement réapparaître des affrontements, en particulier lorsque le chef semble momentanément affaibli. Il existe un autre moyen de légitimer la prise de décision sur les questions d'intérêt collectif, c'est-à-dire de la faire accepter sans trop de contestations... C'est la démocratie.

Si chacun a le sentiment de participer à la prise de décision de manière à peu près égale, il y a plus de chances que tout le monde accepte pacifiquement les choix qui sont faits. De ce point de vue, la démocratie fonctionne comme un idéal : ce qui compte c'est plus le sentiment de participer également aux décisions qui sont prises (sur les questions d'intérêt collectif) que la réalité de cette participation, difficile à organiser au quotidien.


 b) La démocratie représentative ne suffirait pas à entretenir l'idéal démocratique en l'absence d'expression d'une opinion publique

L'avantage de la démocratie représentative c'est qu'elle résout un problème d'organisation quasiment insoluble. Sur les nombreuses décisions à prendre chaque jour concernant des intérêts collectifs, il est difficile d'interroger tous les citoyens en permanence, pour les faire répondre OUI ou NON afin de respecter ensuite le choix du plus grand nombre de votants. Même si les nouvelles technologies rendaient une telle consultation permanente possible à grande échelle, il resterait un gros problème de cohérence des choix : la majorité des citoyens peut vouloir en même temps des actions incompatibles entre elles, par exemple baisser les impôts et augmenter le nombre de policiers (payés avec les impôts).

D'où l'idée que les membres de la population choisissent d'abord parmi eux ceux qui obtiennent le plus de votes, pour que ces représentants élus prennent en suite "au nom du peuple", et pendant une certaine durée, un ensemble de décisions à peu près cohérentes entre elles... d'autant plus cohérentes, d'ailleurs, qu'elles auront été autant que possible annoncées à l'avance, et soumises à la critique de leurs concurrents pendant l'élection.

La faiblesse de la démocratie représentative, toutefois, est d'exposer les représentants à l'accusation de confisquer la prise de décision une fois qu'ils ont été élus, sans tenir compte pendant toute la durée de leur mandat de l'intérêt de ceux qu'ils représentent. D'où une perte de légitimité pour leurs décisions, à moins qu'ils essaient visiblement de suivre le plus souvent l'opinion publique... lorsqu'un tel ensemble d'avis partagés peut s'établir clairement et de façon un peu cohérente au sein de la population, à différents moments entre deux élections, en étant suffisamment connus de tous grâce à leur diffusion par la presse par exemple.


2/ L'instruction gratuite et obligatoire a ainsi enraciné la démocratie en France en créant les conditions de l'émergence d'une opinion publique nationale


 a) Jusqu'à l'instruction gratuite et obligatoire à la fin du XIXème siècle, la seule opinion publique était celle des catégories favorisées de la population

Les petits français ont été obligés d'aller à l'école, d'abord jusqu'à l'âge de 12 ans, seulement à partir de la fin du XIXème siècle, avec les lois du ministre Jules Ferry au début de la IIIème République. La première loi a prévu la gratuité de l'enseignement en 1881, avant que la seconde loi impose la scolarisation obligatoire l'année suivante. Un des objectifs de l'élévation du niveau d'instruction de la population était précisément d'améliorer les chances de faire durer la IIIème République, par rapport aux deux expériences précédentes.

En effet les individus membres d'une population peu éduquée ont tendance trop facilement à se regrouper derrière un homme fort, par exemple un chef local, un dictateur ou même un roi héréditaire, plutôt que d'essayer de faire entendre un avis sur des sujets qu'ils ne comprennent de toute façon pas vraiment. Ce qu'on appelait parfois l'opinion publique avant la fin du XIXème siècle, c'est-à-dire avant l'école gratuite et la presse écrite de la IIIème République, ce n'était pas l'opinion du peuple.

Seule une toute petite partie de la population pouvait à l'époque se rendre compte de l'importance de certains sujets d'intérêt collectif, comprendre les choix possibles à leur sujet, et essayer de faire connaître son point de vue. Il s'agissait essentiellement des intellectuels, des grands commerçants, et des personnes déjà impliquées dans la vie politique, comme les députés élus par les français riches (le suffrage étant censitaire, c'est-à-dire conditionné par un niveau minimum d'impôt payé) sous les monarchies de la première moitié du XIXème siècle.


 b) Les expériences démocratiques ont été fragilisées par la faiblesse de l'opinion publique avant l'instruction gratuite et obligatoire

La IIIème République, qui a été interrompue par la seconde guerre mondiale et le régime de Vichy en 1940, a été établie par la constitution de 1875. Elle a ainsi été la plus longue expérience démocratique continue de l'histoire française, avant d'être dépassée en 2010 par les deux périodes successives de la IVème République et de la Vème, respectivement depuis 1945 et depuis 1958.

Cette longévité démocratique contraste avec la brièveté des expériences de la Première République après la Révolution Française, entre 1792 et le coup d'Etat de Napoléon Ier en 1804, ainsi que de la Seconde République après la révolution de 1848, jusqu'à la proclamation en 1851 du Second Empire par Napoléon III, après son élection comme Président de la République. Le développement d'une opinion publique plus populaire, informée par l'école obligatoire et le journalisme de presse écrite, semble bien avoir été un facteur de stabilité démocratique.

Les critiques contre des groupes de députés élus accusés de confisquer le pouvoir, ainsi que l'appel à des hommes forts anti-parlementaristes, ont certes bien existé sous la IIIème République. Ce fut le cas notamment avec le mouvement du Général Boulanger à la fin des années 1880. Mais Georges Boulanger n'a pas pu réussir à imposer un pouvoir personnel à la tête du pays comme Napoléon puis Louis-Napoléon Bonaparte avaient pu le faire auparavant.



Rappel : il faut toujours conclure le devoir en commençant par résumer la réponse, apportée par le développement, à la question du sujet. On peut s'inspirer pour cela des titres des parties principales annoncés en fin d'introduction, mais il faut donner de ces quelques phrases une version plus détaillée et si possible plus affirmative, compte tenu des précisions données plus haut dans le développement.

Elargissement du sujet vers d'autres questions   "La démocratie est l'organisation pacifique de la concurrence pour le pouvoir". Si on admet que cette définition de Raymond Aron est peut-être plus réaliste que celle (étymologique) de Georges Washington, la démocratie directe n'est pas une alternative sérieuse à la démocratie représentative, et l'existence d'une opinion publique informée, largement connue et diffusée, est importante à la fois pour contrôler l'action des représentants élus et pour en renforcer la légitimité.