Les statistiques de la délinquance peuvent-elles être prises au sérieux ?

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Accroche   Pour essayer de trouver des solutions à un problème, il faut souvent être capable d'abord de le mesurer. Cela permet de faire apparaître, notamment, des régularités dans la variation des données obtenues selon l'évolution d'autres variables, qui traduisent d'autres phénomènes. Ainsi apparaissent des causes éventuelles ou des conséquences possibles. C'est vrai pour la délinquance comme pour la croissance économique. Cela pose évidemment la question de la fiabilité des instruments disponibles pour une telle mesure.

Définition de mot-clé
   - délinquance :  formes de déviance dont la sanction est prévue par la loi (ce qui n'est pas le cas de tous les écarts à des règles sociales, parfois simplement punis par de la moquerie ou l'exclusion du groupe)

Rappel : il faut toujours annoncer en fin d'introduction les titres des parties principales du développement, juste après avoir posé explicitement la question du sujet. Il est souhaitable de reformuler cette dernière plutôt que de la recopier telle quelle dans l'introduction, et il faut si possible y associer une problématique, c'est-à-dire la décomposer en deux, trois ou quatre questions.


1/ Les statistiques policières et judiciaires sur la délinquance en sous-estiment certains aspects tout en surévaluant la rapidité d'évolution de catégories d'actes particulières


 a) Les statistiques de la police et de la justice sous-estiment le nombre de certains actes de délinquance

Rien ne peut garantir avec certitude qu'en cas de transgression d'une règle écrite, pour laquelle une sanction est prévue et organisée à l'échelle de la société, les autorités chargées d'appliquer ces procédures soient toujours informées de l'acte commis. Les excès de vitesse sont sanctionnés lorsqu'ils sont constatés par des gendarmes ou par un radar automatique, mais un nombre non négligeable sont pratiqués sur les routes sans que leurs auteurs reçoivent une amende à payer.

Et cela peut concerner des infractions plus graves qu'un excès de vitesse, qui est une simple contravention. Des délits et même des crimes échappent aux statistiques de la police et de la justice, tout simplement parce que les victimes n'osent pas toujours porter plainte. Cela peut être le cas lorsqu'elles ont elles-mêmes commis des infractions, ou à cause de la honte que ressentent les victimes de viol. D'autres préfèrent ne pas perdre de temps à déclarer le vol d'un sac par exemple.

Pour désigner tous les actes qui ne sont pas comptabilisés par les autorités car ils échappent ainsi à leur contrôle, les journalistes et les chercheurs en sciences sociales font référence au « chiffre noir de la délinquance ». Cette difficulté à mesurer avec précision le nombre d'actes délinquants ne doit cependant pas être confondue avec un éventuel problème d'efficacité dans la lutte contre la délinquance : il n'est pas nécessaire qu'une sanction soit systématique pour qu'elle soit dissuasive.


 b) La hausse de certains types de délinquance peut (ainsi) être surestimée

L'écart entre la délinquance mesurée et la quantité d'actes délinquants effectivement commis n'est pas le même selon les catégories d'infractions. De manière générale, on peut considérer que la différence entre les statistiques officielles et la réalité est d'autant plus élevée que les formes de transgression étudiées sont moins lourdes de conséquences. Dans le cas de la petite délinquance, le chiffre noir est donc plus important.

Cela rend ce type d'infractions plus sensible aux variations dans l'organisation du travail de la police, au fil des années et des changements de politique gouvernementale. Une priorité peut être donnée à un moment donné à la lutte contre le tapage nocturne ou contre la consommation de cannabis, par rapport à d'autres types d'actions policières : dans ce cas le nombre d'infractions recensées peut augmenter sans que le nombre d'actes en question ait réellement progressé.

La hausse apparente des chiffres peut aussi refléter, pour certaines catégories d'infractions, un changement d'attitude de la société à l'égard de comportements qui étaient auparavant plus souvent tolérés au sein de la population. C'est ainsi que le nombre de plaintes pour agressions sexuelles a explosé entre les années 1970 et les années 2000 : de 1417 en 1972 à 10506 en 2004. Depuis le milieu des années 2000 ce sont plutôt les plaintes pour harcèlement qui progressent.


2/ Cependant les enquêtes de victimation apportent un complément utile qui permet de mieux cerner le phénomène, en dépit de leurs propres limites


 a) Les enquêtes de victimation permettent d'évaluer le chiffre noir de la délinquance et complètent ainsi les statistiques policières

A la différence des statistiques effectuées par les services de la police ou de la justice, les enquêtes de victimation sont des études conduites par des sociologues, selon la méthode des sondages. Ainsi il n'est pas nécessaire que la victime d'un acte délinquant face une démarche particulière, comme de porter plainte, pour que l'infraction commise soit comptabilisée. Quelques milliers de personnes sont interrogées, le plus souvent à leur domicile, par téléphone, et on en déduit une tendance nationale.

Bien sûr, même si elles sont mises en confiance et peuvent répondre anonymement aux questions posées par l'enquêteur, il peut arriver que les personnes interrogées ne soient pas sincères, ou qu'elles interprètent mal ce qu'on leur demande. Cependant les enquêtes de ce type permettent d'avoir une idée assez nette de l'ampleur du décalage entre les données administratives et la réalité, pour chaque type d'infractions.

Ainsi d'après les enquêtes de victimation, à peine plus de 5% des viols commis entre membres d'un même ménage font l'objet d'un dépôt de plainte auprès de la police ou de la gendarmerie. Cette proportion double dans le cas des viols commis par des personnes extérieures, sans dépasser 12%. Or il s'agit d'un crime, jugé en cour d'assises, et pour lequel la peine peut aller en France jusqu'à la prison à vie d'après le code pénal.


 b) Les enquêtes de victimation ont leurs propres limites

Selon l'enquête INSEE consacrée à la délinquance ressentie, la proportion d'adultes à qui il arrive de sentir en insécurité à leur domicile, souvent ou de temps en temps, est inférieure en Ile de France (7,8% en 2012) par rapport aux régions de l'Est et du Nord. Elle atteint même 10,2% en région Nord Pas-de Calais, tandis qu'elle se situe à 8% en Alsace, Franche-Comté, Lorraine. Elle est également inférieure en région Rhône-Alpes par rapport à la région Provence Alpes Côte d'Azur.

Pourtant au sein du classement des taux de criminalité ville par ville, dans le cas des agglomérations de plus de 100000 habitants, 14 des 30 premières places sont occupées par des communes d'Ile-de-France. Et en revanche aucune grande ville des régions du Nord ni de l'Est n'y figure. Il est ainsi permis de penser que le sentiment d'insécurité n'est pas uniquement lié au niveau réel de délinquance dans une région ou un territoire quelconque.

Cette idée a d'ailleurs été exprimée assez tôt par des chercheurs en sociologie et en criminologie. Dans une étude de 1967 des professeurs Ennis et Reiss, à laquelle l'université américaine de Yale était associée, il avait déjà été montré que la « peur du crime » et la réalité des atteintes aux biens et aux personnes sont assez souvent déconnectés. Cette étude est restée célèbre par ailleurs pour avoir fait l'usage, la première fois, d'enquêtes de victimation.



Rappel : il faut toujours conclure le devoir en commençant par résumer la réponse, apportée par le développement, à la question du sujet. On peut s'inspirer pour cela des titres des parties principales annoncés en fin d'introduction, mais il faut donner de ces quelques phrases une version plus détaillée et si possible plus affirmative, compte tenu des précisions données plus haut dans le développement.

Elargissement du sujet vers d'autres questions   Les différentes statistiques disponibles pour la délinquance ont au moins toutes le mérite d'exister. Il faut surtout de la rigueur dans la façon dont on les utilise, en ne comparant pas par exemple des données obtenues par des méthodes différentes, au fil du temps. Le problème peut d'ailleurs aussi se poser pour l'analyse de phénomènes moins sensibles aux yeux l'opinion publique. Même si dans ce cas la suspicion est moins forte que les autorités ou les journalistes soient tentés, localement ou nationalement, de manipuler les résultats ou leur présentation.