Les nouvelles sociabilités numériques nous font-elles revenir sur deux siècles d'individualisation, avec un resserrement du lien social ?

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Accroche   Les réseaux sociaux d'Internet permettent de communiquer à l'autre bout du monde, et placent chaque individu au centre d'un système de relations bien à lui. Pourtant leur image est ambiguë. Des faits divers sordides de harcèlement, et des affaires de manipulation politique à l'échelle internationale, ont attaché leur réputation. Il n'est pas si certain que la liberté individuelle de chacun ait gagné au développement de ces outils.

Définition de mot-clés
   - sociabilité :  ensemble des occasions de rencontres et d'échanges entre un individu et d'autres personnes, que ces contacts soient imposés, comme dans le cadre professionnel, ou choisis, avec un groupe d'amis par exemple
- sociabilités numériques :  occasions de contacts et d'échanges entre les individus liées à l'usage des nouvelles technologies, et plus particulièrement des réseaux sociaux sur Internet
- individualisation :  accroissement de l'autonomie des individus par rapport au reste de la société, du point de vue de leurs pensées et de leurs actes, au fur et à mesure qu'ils ont des tâches professionnelles plus spécialisées notamment, avec des personnalités qui se différencient davantage

Rappel : il faut toujours annoncer en fin d'introduction les titres des parties principales du développement, juste après avoir posé explicitement la question du sujet. Il est souhaitable de reformuler cette dernière plutôt que de la recopier telle quelle dans l'introduction, et il faut si possible y associer une problématique, c'est-à-dire la décomposer en deux, trois ou quatre questions.


1/ L'individualisation de la vie en société a correspondu à une évolution des types de contrôle social plutôt qu'à un affaiblissement du contrôle


 a) Le contrôle social peut aussi bien être formel qu'informel

Lorsqu'un juge prononce une peine de prison pour homicide involontaire, à l'encontre d'un conducteur automobile ayant provoqué un accident mortel sous l'emprise de produits stupéfiants, sa décision est prononcée en fonction d'une règle écrite, et à l'issue d'un procès qui s'est déroulé selon une procédure précise. Il s'agit d'une forme très organisée de contrôle social, y compris lorsque la peine est ensuite appliquée. Ce type de contrôle social fait respecter des normes qui sont le plus souvent des normes juridiques, inscrites par écrit dans les lois et règlements.

Mais le contrôle social peut également être beaucoup plus diffus. Les ricanements dans le dos d'une personne qui ne s'habille pas comme les autres membres d'un groupe rappellent à tous une règle de comportement attendue parmi eux. La moquerie, l'exclusion d'une partie des activités communes, ou même les cris de colère, peuvent ainsi servir à faire respecter des règles sociales d'une façon informelle. Il s'agit bien sûr dans ce cas, en principe, de normes sociales qui ne sont pas des normes juridiques.

Le contrôle social diffus peut s'exercer sans que tous ceux qui y contribuent en soient conscients. Il n'en est pas moins efficace. Dans le cas du contrôle social organisé, les agents souvent spécialisés qui participent à sa mise en ?uvre savent bien sûr toujours ce qu'ils font. Il peut s'agir de juges, de policiers, de gendarmes, mais également de personnel éducatif : c'est le cas par exemple lorsqu'un CPE convoque un élève qui a transgressé le règlement intérieur et lui impose des heures de colle.


 b) L'affaiblissement de la solidarité mécanique, et donc l'importance croissante du contrôle social formel, ont contribué à l'individualisation de la vie en société

Le monde paysan, touché par un déclin rapide depuis deux-cent ans, se caractérisait par un mode de vie en petites communautés villageoises entourées de terrains agricoles. Le fait de vivre presque en permanence sous le regard les uns des autres favorisait l'efficacité de formes peu organisées mais très efficaces de contrôle social. D'autant que la plupart des habitants partageaient le même métier, et devaient s'entraider à certaines occasions. On parle de solidarité mécanique à propos du fonctionnement de ce type de société, où les consciences individuelles ont peu d'autonomie par rapport aux façons de penser de la collectivité.

L'industrialisation est allée de pair avec l'extension des villes et une spécialisation professionnelle beaucoup plus poussée. L'affaiblissement du contrôle social diffus exercé par la communauté a ainsi renforcé l'importance des formes plus organisées de contrôle, à travers l'action de la police et de la justice, ou encore dans le cadre de l'Education nationale. Mais paradoxalement, les individus y ont plutôt gagné en liberté de penser et d'agir, par rapport aux contraintes imposées par leur entourage.

Dans ce type de société dite à solidarité organique, la peur du gendarme contribue évidemment à ce que les individus respectent les règles imposées par la collectivité. Mais à moins de recruter la moitié de la population parmi les forces de l'ordre, il n'est pas possible de surveiller chacun en permanence ou presque, comme c'est le cas avec les formes diffuses de contrôle social. La quasi-certitude d'être sanctionné, même de façon relativement légère, contraint davantage les comportements que le risque d'une sanction plus sévère mais rare et parfois incertaine.


2/ Les nouvelles sociabilités numériques renforcent plutôt le contrôle social, sans nécessairement resserrer le lien social


 a) Les nouvelles sociabilités numériques renforcent plutôt le contrôle social

L'usage généralisé des téléphones portables rend aujourd'hui tout un chacun joignable presque en permanence, à l'oral ou par écrit. La conséquence est l'obligation parfois de se justifier lorsqu'on ne répond pas, que ce soit sur les réseaux sociaux ou avec les messages écrits envoyés par l'intermédiaire du réseau de téléphonie mobile. Cela vaut pour les rapports entre conjoints, entre parents et enfants, et même entre amis ou collègues de travail.

Les réseaux sociaux sur internet conduisent en outre à afficher à un large public, composé d'amis mais aussi de simples connaissances, des éléments de vie privée qui n'étaient pas autant exposés auparavant au jugement des autres. Sans qu'il soit complètement impossible de s'abstenir à participer, la norme est plutôt d'être présent au moins sur l'un ou l'autre de ces réseaux comme "Facebook", "Instagram", "Snapchat". Ceux qui ne le font pas se privent d'occasions de contacts devenues importantes, tant sur le plan affectif qu'au niveau professionnel parfois. Pour trouver un emploi en concurrence avec d'autres chômeurs, il faut pouvoir utiliser les mêmes outils par exemple.

Ces éléments de vie privée ou professionnelle, qu'il faut bien afficher de temps à autre, sont soumis à une forme diffuse mais contraignante de contrôle social, comparable au "qu'en dira-t-on" d'un petit village. De ce point de vue les nouvelles sociabilités numériques entraînent un retour à des formes de solidarité plus mécaniques qu'organiques.


 b) L'effet des nouvelles technologies sur le lien social est quand même assez ambivalent

Le lien social est ce qui rend les individus solidaires entre eux. De ce point de vue les sociabilités numériques ont un effet ambivalent sur la société dans son ensemble. Elles contribuent certes à harmoniser les façons de penser à la manière du qu'en dira-t-on des villages, mais elles le font dans un espace qui n'est ni complètement privé ni complètement public. Les réseaux sociaux sur Internet regroupent ainsi des individus qui partagent déjà des idées ou des intérêts communs. Non seulement il ne s'agit pas de la société dans son ensemble, mais ce contexte est propice à la radicalisation des points de vue sur certains sujets, jusqu'au lynchage parfois d'individus très rapidement étiquetés comme déviants.

L'absence de véritable hiérarchie entre les individus, sur les réseaux sociaux, les prive d'arbitres possibles, capables de faire accepter des compromis entre des points de vue différents. C'est particulièrement un problème dans le cas des rassemblements de manifestants qui trouvent leur origine sur ces réseaux, comme celui des gilets jaunes en France pendant l'hiver 2018-2019. Ces mouvements n'arrivent pas en effet à faire émerger des chefs de file, capables de proposer ensuite des compromis cohérents entre les intérêts, en partie contradictoires parfois, des individus qui expriment ensemble leur colère.

L'absence d'arbitre respecté sur les réseaux sociaux contribue également à alimenter une ambiance de méfiance généralisée, compte tenu de la difficulté à trier le vrai du faux parmi les informations partagées.



Rappel : il faut toujours conclure le devoir en commençant par résumer la réponse, apportée par le développement, à la question du sujet. On peut s'inspirer pour cela des titres des parties principales annoncés en fin d'introduction, mais il faut donner de ces quelques phrases une version plus détaillée et si possible plus affirmative, compte tenu des précisions données plus haut dans le développement.

Elargissement du sujet vers d'autres questions   Si le contrôle social a peut-être plutôt tendance à se renforcer qu'à s'affaiblir avec les nouvelles sociabilités numériques, il reste à se demander jusqu'où ce contrôle doit aller. Il faut bien canaliser d'une manière ou d'une autre la violence au sein de la société, inévitable compte tenu de la rivalité des désirs. Mais on peut craindre de se diriger vers le monde du roman "1984" de Georges Orwell, où "Big Brother" incarne les dérives du contrôle totalitaire exercé par l'Etat sur tous les comportements et les pensées. Même si l'Etat ne s'en mêle pas directement, des formes diffuses de contrôle peuvent atteindre un degré inquiétant pour les citoyens épris de liberté. Les réseaux sociaux sur Internet n'ont pas un effet comparable de ce point de vue au fondamentalisme religieux dans certaines parties du monde, mais il peut tout de même inquiéter.