Pourquoi est-ce la société qui produit la déviance au moins autant que les individus ?

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Accroche   Aucun conducteur n'est heureux de recevoir un avis de contravention après avoir été flashé par un radar pour excès de vitesse. Mais il peut comprendre ce qui justifie sa sanction: la volonté de sauver des vies en obligeant les automobilistes à conduire prudemment. Si on suit ce raisonnement, on peut imaginer qu'un effort accru d'explication et de prévention permettrait d'éviter les comportements déviants et donc la répression. Mais il n'est pas sûr que les individus fassent toujours le choix de la déviance, ou même de la délinquance.

Définition de mot-clé
   - déviance :  écart d'un individu par rapport aux comportements attendus dans un groupe, rendu évident par les désagréments qu'on peut lui faire subir sans que cela dérange beaucoup les autres membres : il peut s'agir de sanctions organisées par la loi ou de simples moqueries dans le dos d'un marginal.

Rappel : il faut toujours annoncer en fin d'introduction les titres des parties principales du développement, juste après avoir posé explicitement la question du sujet. Il est souhaitable de reformuler cette dernière plutôt que de la recopier telle quelle dans l'introduction, et il faut si possible y associer une problématique, c'est-à-dire la décomposer en deux, trois ou quatre questions.


1/ Dans la délinquance un invidu s'engage, ce qui n'est pas toujours le cas dans la déviance qui a d'ailleurs un sens plus large


 a) La délinquance n'est pas le seul type de déviance

La délinquance est la transgression de normes juridiques, avec une punition prévue par la loi. Or la loi est une règle écrite, définie de façon préalable à l'acte qu'elle punit (en tout cas dans ce qu'on appelle un Etat de droit, comme toutes les véritables démocraties contemporaines). Il est bien sûr possible d'ignorer la loi, mais ce n'est pas si fréquent lorsque des sanctions graves sont prévues. Lorsqu'un acte délinquant est commis, son auteur sait donc en général à l'avance qu'il va s'écarter de la loi et il pourrait ainsi éviter de le faire.

Cela distingue la délinquance d'autres formes de déviance, comme la marginalité. Les normes sociales dont le respect est alors sanctionné peuvent être des règles moins stables, plus floues, moins bien connues que des règles juridiques. La sanction ne se fait pas forcément de façon organisée : il peut s'agir de simples moqueries. On parle alors de sanction diffuse, ou informelle. Cela peut concerner par exemple un collégien qui adopte un style d'habillement très personnel, très éloigné de la mode suivie par ses camarades.


 b) La déviance peut être le résultat de l'étiquetage et de la stigmatisation d'individus auquel on donne ainsi un rôle déviant, qu'ils font parfois eux-mêmes le choix de suivre ensuite

Dans le cas de la sanction informelle de règles non écrites dans un groupe social, les individus concernés ne peuvent prendre conscience de l'existence de la règle qu'en la voyant appliquer, y compris parfois du fait de leurs propres réactions négatives, spontanées, à certaines attitudes inhabituelles. En fait l'attente d'un comportement ne prend véritablement un statut de norme sociale qu'à travers la sanction de ceux qui s'en écartent. Pour cette raison le fondateur de la sociologie Emile Durkheim a défendu l'idée qu'aucune société ne peut être pure, sans transgressions : l'affirmation que « le crime est normal » lui a servi à exprimer ce point de vue. C'est vrai même pour les règles écrites : les limitations de vitesse étaient ainsi peu respectées sur l'autoroute avant l'installation des radars automatiques. Il faut la réaction plus ou moins organisée du groupe, qui colle ainsi en quelque sorte une étiquette "déviant" sur certains actes, pour qu'une règle fonctionne.

Dans le cas de la déviance non délinquante, cet étiquetage peut se faire sans que les individus étiquetés aient fait le choix de se mettre dans cette situation. Mais il arrive assez souvent qu'ils décident ensuite de suivre en toute conscience le rôle que la société leur a ainsi attribué, y compris jusqu'à la délinquance. Si on dit de moi que je suis un élève perturbateur par exemple, à la suite d'un simple bavardage en début d'année, je peux devenir un élève perturbateur pour de bon. La personne entre ainsi dans ce que les sociologues appellent une "carrière déviante", avec une succession d'étapes au fur et à mesure des réactions de la société au comportement de l'individu. C'est aussi vrai dans le cas d'un type d'étiquetage particulier qu'on appelle "stigmatisation" : dans ce cas, la sanction de la société est liée à un signe que porte l'individu, comme un style vestimentaire (capuche...) ou une couleur de peau.


2/ Tout en rendant chaque individu unique, les différences entre groupes sociaux peuvent conduire à des comportements perçus comme déviants


 a) Un acte sanctionné comme déviant dans une société ou un groupe social ne l'est pas forcément ailleurs ou à une autre époque

Une tenue vestimentaire acceptée parmi des jeunes marseillais des cités peut ne pas convenir du tout aux yeux de collégiens de Neuilly, une banlieue bourgeoise de Paris. A l'autre bout du monde, dans les montagnes du Tibet en Chine, on peut même saluer une personne en lui tirant la langue, ce qui serait très impoli en France. Plus près de nous en Angleterre, il est souhaitable de garder une main sur ses genoux pendant qu'on mange, alors qu'en France il faut plutôt garder les deux mains sur la table. Ces différences entre groupes sociaux, au sujet de ce qui est déviant ou non, peuvent concerner des comportements sanctionnés par la loi : la consommation d'alcool et celle de cannabis, par exemple, sont autorisées ou non en fonction des pays, et parfois punies très sévèrement. Selon les régions du monde également, ce sont plutôt les femmes ou les hommes qui doivent s'interdire de risquer de faire apparaître un désir sexuel jugé indésirable : c'est ce qui justifie le voile porté par les femmes aux yeux des saoudiens.

L'expression trop appuyée d'un désir masculin vis-à-vis d'une inconnue, par exemple, est aujourd'hui moralement réprouvé en France, et même puni par la loi depuis août 2018 : c'est ce qu'on appelle du harcèlement de rue. C'était loin d'être le cas jusqu'au début des années 2000, où la "grivoiserie française" pouvait encore être perçue comme un aspect charmant de notre pays. En sens inverse, la société était très peu tolérante avant les années 1960 en ce qui concerne les rapports sexuels en dehors du mariage, et a fortiori les naissances d'enfants... jusqu'à l'amélioration du niveau de vie et la généralisation des méthodes de contraception efficaces. Cela ne choque plus personne et c'est même plutôt la norme aujourd'hui. Comme exemple d'évolution des règles sociales au fil du temps, on peut également citer l'interdiction récente de la fessée, alors qu'elle faisait partie de la routine de l'éducation des enfants il y a quelques décennies.


 b) La pluralité des influences socialisatrices peut être source de tension mais elle contribue à rendre chaque individu unique

Il peut y avoir un problème lié à ce que chaque individu fait partie de plusieurs groupes sociaux. On peut par exemple être une jeune collégienne, française, avec des enseignants et des amis adeptes d'une conception laïque des rapports entre les hommes et les femmes, et en même temps être élevée par des grands-parents avec des idées très rigoureuses au sujet des mêmes rapports, originaires des pays où ils ont eux-mêmes grandi. Dans ce cas la règle sociale n'est pas la même dans la famille et au collège. Le respect de la propriété privée peut également être différent selon les pays, et donc dans certains groupes de personnes immigrées par rapport aux normes de leur pays d'accueil. Dans les villages reculés de certaines régions du monde, les individus doivent beaucoup partager avec la communauté, surtout s'ils sont riches, et la notion de propriété privée n'a pas exactement le même sens.

Dans ces genres de situations, qu'on appelle des conflits culturels, les individus sont soumis à des tensions psychologiques intérieures, mais aussi sociales. Faut-il accepter d'aller à la piscine avec les garçons pour respecter la règle du collège et plaire aux camarades ? Ou suivre la voie rappelée avec beaucoup de tendresse parfois par la famille ? L'habitude de résoudre ce type de tensions, au quotidien, peut contribuer à la construction de personnalités ouvertes, très habiles à gérer les relations en société. Mais elle peut aussi précipiter plus facilement certains individus dans la délinquance, en créant une confusion dans leur tête sur la nécessité de suivre des règles. Ce n'est pas forcément prévisible. Toutefois au-delà de cet exemple un peu caricatural, la pluralité des influences socialisatrices qui s'exercent en fait sur chacun de nous a en tout cas un avantage : elle donne la possibilité à chacun de suivre une trajectoire de vie qui est vraiment la sienne, et de se rapprocher ainsi le plus possible d'une liberté individuelle accomplie.



Rappel : il faut toujours conclure le devoir en commençant par résumer la réponse, apportée par le développement, à la question du sujet. On peut s'inspirer pour cela des titres des parties principales annoncés en fin d'introduction, mais il faut donner de ces quelques phrases une version plus détaillée et si possible plus affirmative, compte tenu des précisions données plus haut dans le développement.

Elargissement du sujet vers d'autres questions   Dans un groupe, ceux dont la tête dépasse se la font souvent couper, et cela rappelle à tous, au passage, l'existence de la règle. Mais quelques-uns de ces déviants peuvent à l'opposé devenir les leaders du groupe, ceux qui l'orientent, si les autres décident de les imiter. Tant que cela ne débouche pas sur une généralisation des comportements déviants dans de nombreux domaines, ce mécanisme permet au contraire aux sociétés de changer progressivement certaines règles afin de s'adapter aux évolutions de leur environnement. Il explique peut-être aussi pourquoi les chefs ont des personnalités qui semblent avoir davantage tendance à prendre des libertés avec la loi.