A quel point l'innovation dépend-elle du contexte institutionnel?
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Malgré
les débats possibles sur les outils de mesure de la croissance, ainsi que sur
la soutenabilité de cette dernière en fonction de son rythme, l'augmentation
durable de la production reste un objectif majeur des politiques économiques.
Comment améliorer le niveau général de satisfaction des besoins, dans une
population où les revenus de transfert limitent déjà les inégalités, si les
ressources produites n'augmentent pas ? Or pour accroître la production
moyenne par habitant, il ne faut pas trop compter sur la hausse des quantités
de facteur travail. Sauf à dégrader le bien-être du citoyen travailleur en
essayant de l'améliorer chez le citoyen consommateur, souvent la même
personne, l'évolution des quantités disponibles de facteur travail est
essentiellement liée à la hausse de la population. Quant à la hausse du facteur
capital, elle suppose un arbitrage entre consommation et investissement, donc
entre bien-être présent et futur. Reste donc la hausse de la productivité
générale des facteurs, autrement dit le progrès technique, l'innovation. Si on
pense que celle-ci est ainsi un moteur essentiel de la croissance, la question
se pose de ce qui peut la favoriser elle-même. Or les institutions rendent les
comportements humains prévisibles, du fait d'habitudes ou de règles dans des
ensembles plus ou moins larges d'individus : la famille, la monnaie,
l'Université, sont des exemples d'institutions. En orientant l'action des
agents économiques, certaines d'entre elles ne créent-elles pas un contexte, un
environnement, favorable à l'amélioration des connaissances appliquées à la
production ?
1/ Les théories de la croissance endogène ont critiqué l'idée que l'innovation serait indépendante du contexte économique et social, établi et entretenu par les institutions
a) Quelles théories présentent le progrès technique comme une variable exogène ?
La
théorie de la croissance formulée par l'économiste Robert Solow, en 1956, fait
jouer au progrès technique un rôle central, mais en le considérant comme une
donnée sur l'évolution de laquelle on n'a pas d'explications économiques ni de
moyens d'action : une variable exogène. Le progrès technique est dans
le modèle de Solow le « résidu », la part de la croissance qui ne
peut pas s'expliquer par la hausse des quantités de travail et de capital.
C'est donc la hausse de la productivité globale des facteurs, à la fois très
importante pour la croissance et « tombant du ciel » pour Solow.
L'absence d'explication du progrès technique, dans cette théorie, ne signifie
pas bien sûr qu'aucun auteur avant Solow n'avait envisagé la contribution
possible de tel ou tel phénomène au rythme de l'innovation. C'était le cas par
exemple de Max Weber dans son ouvrage « l'Ethique protestante et l'esprit
du capitalisme », où il montre le rôle joué par les nouvelles idées
religieuses dans la dynamique de la révolution industrielle. Cependant
l'évolution des institutions religieuses n'est déterminée par aucune variable
économique qui puisse faire l'objet d'un choix politique.
b) Quel a été l'apport des théories de la croissance endogène ?
L'apport majeur de la théorie de la croissance endogène, formulée notamment par
Paul Romer à la fin des années 1980, est d'avoir présenté la hausse de la
productivité globale, autrement dit le progrès technique, comme une fonction
d'autres variables économiques. C'est-à-dire que le rythme d'innovation
apparaît dans cette théorie comme une variable non plus exogène, seulement explicative
d'autres variables du modèle, mais endogène, explicable par certaines variables
intégrées dans le modèle.
Selon
le niveau moyen du PIB les années précédentes, les dépenses publiques
consacrées à l'éducation et à la recherche peuvent par exemple être plus ou
moins importantes et contribuer ainsi plus ou moins à l'innovation. Augmenter
la proportion de ces dépenses dans le PIB apparaît en outre comme un choix
politique possible, indépendamment du niveau de production lui-même. De ce
point de vue, les institutions semblent donc avoir un rôle à jouer afin de
créer un contexte favorable à l'innovation.
2/ Si l'innovation a besoin de comportements prévisibles, elle procède toutefois par des essais et des erreurs, ce qui est par nature peu compatible avec les carcans institutionnels
a) Quelle influence directe et indirecte exercent sur le rythme d'innovation les institutions contrôlées par l'Etat ?
L'environnement des agents économiques, en particulier celui des entreprises,
est fortement influencé par des décisions prises par les pouvoirs publics.
C'est vrai en matière de formation et de recherche, mais pas seulement. L'ensemble
des lois et règlements appliqués dans un pays crée un contexte plus ou moins
favorable à l'innovation. Bien sûr d'autres institutions que celles de
l'Etat peuvent jouer un rôle important, comme une culture nationale plus ou
moins favorable à la prise de risque et à la réussite individuelle ;
cependant ces habitudes échappent aux choix politiques.
L'Etat
a les moyens d'agir sur plusieurs facteurs importants du progrès technique et
de la croissance, selon la théorie de la croissance endogène. Tous n'entraînent
pas de coûteuses dépenses publiques : défendre la propriété
intellectuelle, en faisant plus ou moins bien respecter les brevets déposés,
favorise la recherche dans le secteur privé. Car une entreprise peut
supporter des coûts élevés afin de prendre un avantage durable sur ses
concurrents. Le bon niveau de la protection sociale des salariés, et de la
sécurité en général dans le pays, favorisent également l'innovation.
b) Pourquoi par définition, l'innovation reste en partie imprévisible ?
La
notion-même d'innovation peut sembler contradictoire avec l'idée d'institution,
car l'innovation représente un changement par rapport aux habitudes,
parfois-même une rupture, tandis que l'institution garantit à l'opposé la
prévisibilité des comportements. De ce point de vue les innovateurs sont des
déviants au sens large du terme, sanctionnés souvent par l'échec de leur
entreprise et parfois par la société. C'est d'ailleurs pourquoi le progrès
technique avance de façon non linéaire, par essais, erreurs et remises en
cause, selon le principe de "destruction créatrice" décrit par
Schumpeter.
Si le
contexte institutionnel peut créer des conditions favorables à l'innovation,
une part de cette dernière ne peut en effet s'expliquer que par le hasard
des tentatives réussies. De même qu'en biologie le hasard des mutations
génétiques débouche parfois sur d'une nouvelle lignée qui prospère car elle est
mieux adaptée à son environnement, selon la logique de la théorie de
l'évolution de Darwin, les innovations de certains entrepreneurs débouchent sur
une amélioration du niveau général de satisfaction des besoins. Elles sont
alors imitées et conduisent à la remise en cause d'habitudes anciennes.
Conclusion Le
contexte institutionnel peut orienter les comportements individuels d'une façon
plus ou moins propice, habituellement, aux comportements innovateurs et à leur
réussite. La qualité de la protection juridique des brevets, ainsi que le
niveau des dépenses publiques de formation et de recherche, sont sans doute les
éléments de contexte institutionnel les plus importants pour favoriser le
progrès technique. Toutefois les mêmes institutions qui peuvent avoir stimulé
les innovations à une époque, peuvent à d'autres moments devenir un frein à
cause d'habitudes trop figées. Une part du rythme de l'innovation échappe ainsi
sans doute à toute tentative de prévision et de planification. Reste que si le
contexte institutionnel peut permettre d'obtenir durablement un niveau annuel
de production plus élevé, la mesure de cette contribution, autrement dit l'évaluation
quantitative du « capital institutionnel » d'une économie, n'est pas
évidente.