A quel point les inégalités sont-elles multiformes et cumulatives ?

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Il existe de bonnes raisons de vouloir la réduction des inégalités. Non seulement c'est ce qui définit véritablement une société démocratique chez un auteur comme Tocqueville, mais les inégalités sont un facteur de conflits, et donc de violence. Une étude de la Banque Mondiale en 2000 a même montré une corrélation indiscutable entre le degré d'inégalités de revenus et le taux d'homicides, à l'échelle d'une centaine de pays différents. Pour lutter au mieux contre les écarts trop importants à l'avantage des uns et au détriment des autres, il faut toutefois avoir d'abord conscience que les inégalités prennent des formes multiples. Et ces différentes formes ont tendance à se renforcer les unes les autres.

1/ Les inégalités de revenus conduisent à d'autres inégalités économiques ainsi qu'à des inégalités sociales


 a) Comment les inégalités de revenus débouchent-elles sur des inégalités de niveau de vie et de patrimoine ?

Les inégalités de revenus entraînent des inégalités de patrimoine qui sont encore plus fortes. En effet, les revenus sont utilisés soit pour consommer, soit pour épargner. Or les sommes épargnées augmentent lorsque le revenu s'élève : compte tenu de la hausse du revenu, ce serait vrai avec un rapport épargne/revenu stable, mais de plus la tendance à épargner s'accroît avec le revenu. Au fil du temps, les ménages à hauts revenus peuvent donc accumuler un patrimoine beaucoup plus important que les ménages à faible revenus. Ainsi en France, le rapport interdécile des revenus est égal 3 environ, et celui des patrimoines, à 70 au moins.

Le niveau de vie d'un ménage dépend principalement de ses revenus, même si d'autres facteurs interviennent : le nombre d'individus qui en vivent, et le patrimoine, notamment immobilier, dont ils disposent. Les inégalités de revenus se traduisent donc assez directement par des inégalités de niveau de vie. Plus les revenus d'un ménage sont élevés, plus ses membres ont la possibilité de consommer des biens ou des services.


 b) Pourquoi l'inégalité des revenus entretient-elle l'inégalité des chances d'accès aux situations sociales enviables ?

Les inégalités de revenus sont un facteur d'inégalité des chances. Les revenus des parents peuvent favoriser plus ou moins les chances de réussite de leurs enfants, d'abord à l'école, puis dans le milieu professionnel. Les enfants des 20% de familles les plus pauvres ont ainsi 3 fois plus de risques de redoubler à l'école primaire que les enfants des 20% de familles les plus aisées. Les revenus permettent en effet de favoriser la réussite scolaire, par exemple en donnant une chambre à chaque enfant, en payant des cours particuliers, en louant un logement proche des établissements scolaires pour diminuer les temps de transport?

Indépendamment de leurs effets sur la génération suivante, les revenus permettent aussi à ceux qui les reçoivent d'obtenir du prestige et du pouvoir. Max Weber tenait à distinguer les trois hiérarchies sociales du revenu, du prestige, et du pouvoir. Mais elles sont tout de même liées : avoir la possibilité, grâce à ses revenus, d'inviter de nombreuses personnes à des réceptions, pouvoir offrir des cadeaux, participer à des ?uvres de charité, sont des façons d'acquérir du prestige social. Le « capital social » ainsi accumulé, sous formes de relations, augmente d'ailleurs aussi l'inégalité des chances dans la génération des enfants.


2/ L'effet sur les revenus des autres formes d'inégalités, en retour, crée un risque d'inégalités cumulatives, d'autant plus élevé que les écarts de revenus sont forts


 a) Comment les autres formes d'inégalités tendent à accroître les inégalités de revenus ?

Différentes formes d'inégalités sociales agissent en sens inverse sur les revenus. Le prestige d'une personne, un champion de sport par exemple, lui donne une influence sur les esprits qui peut inciter un employeur à lui confier des activités bien rémunérées. Le « capital social » d'un individu, c'est-à-dire les amis ou les connaissances avec qui il peut échanger des services, joue aussi un rôle important pour accéder à un emploi bien payé ou à une promotion en cours de carrière. C'est aussi le cas du « capital culturel », transmis de manière inégale aux individus, au cours de leur formation mais aussi par leurs parents.

Les inégalités de revenus sont également influencées par les autres formes d'inégalités économiques. Les inégalités de niveau de vie ont des répercussions sur le capital social, donc sur les possibilités de progression des revenus. Quant aux inégalités de patrimoine, elles peuvent aggraver les inégalités de revenus car il est souvent possible de tirer des revenus des biens que l'on possède. C'est le cas des appartements loués par leur propriétaire, des actions qui permettent de toucher une part des profits des entreprises concernées, ou des obligations qui conduisent à recevoir régulièrement les sommes correspondant aux intérêts.


 b) Pourquoi le risque d'un cercle vicieux des inégalités est d'autant plus élevé que les inégalités de revenus sont fortes ?

Le fait que les inégalités de revenus puissent entraîner d'autres formes d'inégalités, qui à leur tour aggravent les inégalités de revenus, met en évidence le risque d'un cercle vicieux d'accroissement des inégalités. Les avantages ont tendance à se cumuler pour certains individus, tandis que pour d'autres ce sont les handicaps. Or s'il est possible de trouver que certaines inégalités sont justes, parce qu'elles reflètent les efforts des individus par exemple, rien ne semble pouvoir justifier qu'elles soient ainsi cumulatives. Cela peut même décourager les efforts de la partie la moins favorisée de la population, voire l'inciter à la violence.

Dans un tel cercle vicieux d'accroissement des inégalités, celles qui concernent les revenus jouent un rôle plus important que les autres selon Michaël Walzer. Il fait remarquer qu'un avantage sous forme monétaire peut être converti plus facilement dans une autre forme que l'inverse. Par définition, la monnaie est en effet l'instrument d'échange le plus efficace. Or les revenus sont sous forme monétaire.


Conclusion   Le cercle vicieux des inégalités est d'autant plus difficile à rompre qu'elles sont cumulatives, entre inégalités de revenus et inégalités de patrimoine, mais aussi entre ces inégalités économiques et des inégalités sociales. Le rôle particulier que jouent les inégalités de revenus, dans ce cercle vicieux, peut cependant inciter à s'attaquer à ces dernières en priorité. Il reste qu'un certain degré d'inégalités est sans doute nécessaire pour maintenir la motivation des individus à travailler pour améliorer leur sort. Si la réduction des inégalités est souhaitable, l'égalitarisme forcené a certainement joué un rôle dans l'échec économique du communisme au XXe siècle.