Comment peut-on expliquer l'engagement politique ?

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Le bon fonctionnement de la démocratie repose sur la participation du plus grand nombre des citoyens à la prise de décision sur les questions d'intérêt collectif. Cet engagement peut prendre différentes formes, mais il est essentiel dans tous les cas pour la légitimité des choix politiques. D'où l'importance de comprendre pourquoi certains individus participent davantage que d'autres aux élections ou aux autres modes d'action collective. Quelles sont les motivations les plus fréquentes de l'engagement politique ? Et, de façon plus générale encore, quelles variables permettent de l'expliquer ?

1/ Le choix de l'engagement politique, plutôt que l'attitude du passager clandestin, repose largement sur la structure des opportunités politique et sur les rétributions symboliques


 a) Pourquoi y a-t-il un paradoxe à agir collectivement pour des individus rationnels ?

Une action rationnelle utilise des moyens adaptés au but à atteindre, ceux qui donnent les meilleures chances de parvenir à l'objectif. Il peut s'agir d'obtenir un meilleur salaire par exemple. Ce qui est paradoxal par conséquent dans l'action collective, c'est qu'elle ait lieu, car cela ne devrait pas être le cas si on suppose que les individus mobilisés sont rationnels. Le but poursuivi aurait en effet souvent plus de chances d'être atteint, pour ceux qui participent, s'ils laissaient les autres agir et s'ils ne s'impliquaient pas eux-mêmes.

Dans le cas d'un groupe de salariés qui décident de faire grève par exemple, leur action entraîne une perte immédiate de salaire correspondant aux heures non travaillées. A cela peut s'ajouter le risque d'être davantage exposé à un licenciement si les dirigeants doivent diminuer le personnel. Chacune de ces personnes aurait rationnellement intérêt à laisser les autres se mobiliser et à ne rien faire eux-mêmes, puisqu'ils peuvent s'attendre à profiter eux aussi de ce qui aura été gagné. Et si tous font un pur calcul d'intérêts, aucune action ne devrait avoir lieu car chacun en attend les avantages sans vouloir en supporter les coûts, comme un « passager clandestin » sur un bateau.


 b) Sans incitation sélective, qu'est-ce qui peut pousser à l'action collective ?

Le but d'une incitation sélective est d'empêcher les membres d'un groupe de se comporter en passagers clandestins. Les syndicats peuvent ainsi chercher à favoriser davantage l'avancement professionnel de ceux qui se mobilisent, ou organiser pour eux des loisirs. Le principe d'une incitation, c'est qu'elle influence les comportements individuels dans un sens favorable à d'autres intérêts, en particulier ceux du groupe. C'est donc un moyen d'éviter que le calcul rationnel pousse les individus à attendre que les autres agissent dans l'intérêt collectif, sans rien faire eux-mêmes, d'où en théorie l'absence complète de mobilisation.

La mise en place d'une mesure de ce genre doit évidemment être décidée. Mais un autre mécanisme agit de façon beaucoup plus spontanée pour permettre l'action collective. Le comportement des individus est en effet loin de répondre seulement au calcul rationnel. Il est largement influencé par le contrôle social. Ce dernier lui-même n'est pas forcément organisé, il est en partie diffus. Le regard de désapprobation des collègues de travail, rappelant les valeurs de solidarité du groupe, peut suffire à convaincre un ouvrier hésitant à finalement rejoindre une grève. En sens inverse, l'attention accordée aux héros d'un jour est une forme de rétribution symbolique qui peut encourager à l'action. Bien sûr, on ne se mobilise pas aussi facilement en dictature qu'en démocratie, ou encore selon la présence d'alliés éventuels : les possibilités offertes par l'environnement humain comptent également, c'est ce qu'on appelle la structure des opportunités politiques.


2/ L'effet de la catégorie professionnelle et celui d'autres variables socio-démographiques comme l'âge soulignent toutefois l'importance de facteurs plus individuels


 a) Pourquoi les CSP moins favorisées sont-elles moins enclines à l'engagement politique ?

Si on s'intéresse simplement au vote, qui est la forme la plus basique d'engagement politique, on observe déjà des différences importantes selon les catégories socio-professionnelles. Ainsi seulement le quart des ouvriers français participent systématiquement ou presque aux élections nationales, alors que cette proportion s'élève à près de la moitié pour les cadres et professions intellectuelles supérieures. Le même écart s'observe en ce qui concerne la proportion d'adhérents à un syndicat parmi les salariés, selon leur niveau de qualification et plus particulièrement leur diplôme.

L'engagement politique est en effet coûteux en ressources. Il faut y consacrer du temps pour comprendre les enjeux, sans doute davantage pour ceux qui y ont été moins préparés par leur niveau d'études. Or les catégories sociales les moins favorisées sont souvent d'abord préoccupées par leurs conditions matérielles immédiates d'existence, même si elles ont conscience de l'impact des décisions collectives sur leur vie personnelle. Au-delà du temps nécessaire, il existe également une contrainte de budget, surtout en ce qui concerne les formes militantes d'engagement. Les cotisations aux associations, syndicats, ou partis politiques, représentent des montants non négligeables. Les frais de déplacements aux réunions, parfois géographiquement éloignées, comptent aussi.


 b) Hormis la CSP, quelles variables socio-démographiques influencent l'engagement politique sous ses différentes formes ?

Parmi les autres variables qui influencent fortement l'engagement politique, l'âge est une des plus importantes. Moins d'un jeune sur cinq entre 18 et 35 ans vote à toutes les élections en France, à comparer à plus de la moitié de personnes âgées de 60 à 75 ans. Ces dernières soutiennent aussi plus souvent, notamment financièrement, les associations d'aide aux pauvres ou aux pays en difficulté. Les plus de 50 ans sont également plus souvent syndiqués que les moins de 50 ans. Mais plus qu'un désintérêt des jeunes pour la politique, cela traduit leur préférence pour d'autres formes de participation, sur les réseaux sociaux ou avec des actions plus contestataires, moins conventionnelles.

Le genre est également un paramètre significatif. Les hommes ont tendance à chercher davantage que les femmes à s'impliquer dans l'action syndicale ou politique. Le nombre de femmes élues à l'Assemblée Nationale reste ainsi inférieur à celui des hommes, malgré une nette progression depuis le début du XXIe siècle. L'inégale répartition des tâches domestiques, à temps de travail égal, est sans doute une des explications de cette situation, car cela laisse moins de temps au femme pour participer à l'action militante.


Conclusion   Les facteurs qui influencent l'engagement politique, ainsi que les formes de participation choisies, sont nombreux et ils ne relèvent pas tous d'un calcul rationnel de la part des individus. C'est d'ailleurs pourquoi des variables comme le sexe ou l'âge ont une importance. L'évolution des formes de l'engagement en tout cas ne signifie pas une diminution générale de l'intérêt pour la politique en France.