Les Etats de l'Union Européenne peuvent-ils encore mener des politiques économiques nationales ?

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Depuis son lancement le 1er janvier 1999, l'euro est la monnaie officielle de l' "Euroland", une zone qui comprend aujourd'hui 19 pays membres de l'Union européenne. Mais les débats qui ont précédé cet événement ont été rudes à partir de 1992, où la ratification par référendum du traité de Maastricht avait été acquise de justesse en France, avec 51% de oui seulement. Les discussions sur le fait que les Etats conservent ou non les moyens de mener des politiques économiques nationales, dans l'Europe du traité de Maastricht, continuent à alimenter des polémiques. La question se pose aussi bien pour les politiques conjoncturelles, destinées à agir sur la croissance à court terme, que pour les politiques structurelles, visant à transformer des caractéristiques durables de l'organisation de l'économie.

1/ Privés de l'instrument de la politique monétaire, les Etats gardent théoriquement la possibilité d'influencer leurs conjonctures nationales grâce à la politique budgétaire et à la politique des revenus


 a) Pourquoi les Etats de la zone euro ne visent plus aucun objectif conjoncturel avec des politiques monétaires nationales ?

En créant la monnaie unique, les Etats membres de la zone euro ont renoncé à un instrument important de politique conjoncturelle, puisque la politique monétaire commune aux 19 pays est décidée à Francfort, par la BCE. C'est celle-ci qui fixe notamment le niveau des taux d'intérêt à court terme auquel les banques privées peuvent se refinancer, ce qui influence les taux d'intérêt qu'elles peuvent elles-mêmes proposer, donc la demande et le rythme de croissance à court terme.

De toute façon aucun Etat européen ne pouvait encore véritablement prétendre poursuivre une politique monétaire nationale autonome, même avant la mise en place de l'euro. En effet la hausse ou la baisse des taux d'intérêt influence la valeur du taux de change, et des variations trop brutales de ce dernier sont difficilement supportables pour des économies aussi ouvertes que celles des pays européens, à cause de l'importance du commerce entre eux (le taux d'ouverture français, Exportations/PIB, est de l'ordre de 30%).


 b) Pourquoi une action nationale sur le rythme de croissance à court terme reste théoriquement possible en zone euro ?

S'il y a désormais une politique monétaire européenne unique, menée par la BCE, la politique budgétaire reste principalement nationale en revanche. Le budget européen est en effet très faible comparé aux budgets nationaux, qui ont quant à eux les moyens de stimuler ou de freiner la demande dans leur pays en faisant varier le niveau des prélèvements obligatoires et celui des dépenses publiques, selon le raisonnement keynésien.

Les Etats ont d'ailleurs un autre instrument à leur disposition pour influencer leur conjoncture nationale: la politique des revenus. Elle consiste à agir sur la demande en influençant le niveau des salaires et des autres catégories de revenus. Dans le cas des salariés du public, cela rentre dans le cadre de la politique budgétaire, mais les Etats ont aussi les moyens d'influencer les salaires du secteur privé, en faisant évoluer le niveau du salaire minimum par exemple.


2/ Cependant le pacte de stabilité et les exigences de compétitivité laissent peu de marges aux politiques conjoncturelles, et imposent en fait des politiques structurelles d'inspiration libérale


 a) Pourquoi le pacte de stabilité d'Amsterdam encadre-t-il de façon assez contraignante les politiques budgétaires ?

Le "pacte de stabilité budgétaire" adopté à Amsterdam en juin 1997 a prévu un maximum de 3% de déficit budgétaire parmi les pays membres de la zone euro, dans le prolongement des "critères de convergence" qui avaient été  fixés par le traité de Maastricht avant la création de l'euro. Cela laisse peu de marge pour mener une politique de relance budgétaire importante, surtout compte tenu du niveau actuel de déficit dans les principaux pays européens, souvent supérieur à 3% déjà.

Cette contrainte est justifiée par le risque de hausse des taux d'intérêt à long terme qui pèserait sur les placements en euros, en cas de déficit budgétaire élevé d'un pays européen. Afin d'attirer assez de capitaux pour financer son déficit, celui-ci devrait proposer des taux d'intérêt qui feraient monter les taux dans tous les pays de la zone, au détriment de leur croissance. Le pacte de stabilité sert de référence à la coordination des politiques économiques par l'ECOFIN (réunion des ministres de l'économie).


 b) Faute de relance coordonnée, pourquoi l'exigence de compétitivité mène en zone euro à des politiques structurelles dites de l'offre ?

Il n'est guère possible non plus de stimuler la demande par la politique des revenus, car tout accroissement des salaires dégrade la compétitivité prix des produits nationaux. Compte tenu du taux d'ouverture élevé des pays européens, les politiques de relance isolées sont de toute façon vouées à l'échec depuis longtemps. Elles ne peuvent que conduire à un déficit extérieur insoutenable pour le pays qui stimule la demande, comme l'a montré l'échec de la relance Mauroy de 1981-82.

A moins d'un large accord pour une relance coordonnée à l'échelle européenne (efficace car le taux d'ouverture de l'UE, de l'ordre de 15%, est nettement inférieur à celui de n'importe quel membre pris séparément), les Etat doivent donc privilégier des politiques structurelles stimulant l'offre plutôt que la demande. Ainsi pour favoriser les profits et la compétitivité prix des entreprises, il faut en principe déréglementer (assouplir le droit du travail notamment), limiter la hausse du salaire minimum, réduire les cotisations patronales?


Conclusion   Les marges d'autonomie des politiques économiques nationales sont donc limitées dans le cadre européen. Cela ne date d'ailleurs pas de l'euro, même si la création de la monnaie unique a ôté aux Etats membres l'instrument de la politique monétaire. C'est en fait le degré élevé d'ouverture des économies de chacun de ces pays, compte tenu de l'importance des échanges commerciaux entre eux, qui limite leurs possibilités d'agir séparément sur leur croissance à court terme. Chacun privilégie donc des politiques structurelles favorables à la compétitivité de ses entreprises, au détriment peut-être de la cohésion sociale, compte tenu des remises en cause que cela entraîne dans les domaines de la protection sociale et du droit du travail.