Comment la banque centrale peut-elle limiter les risques d'une crise bancaire ?

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Un point commun à deux des plus graves crises économiques depuis une centaine d'années, celle des années 1930 et celle de 2008, c'est que la faillite d'une grande institution financière y a joué un rôle moteur. Dans le cas de la crise des années 1930, cela a été la faillite de la banque autrichienne Kreditanstalt, tandis qu'en 2008, il s'est agi de l'établissement de banque-assurance Lehmann Brothers. Cela conduit à se poser la question des moyens d'éviter les crises bancaires, autrement les situations où un établissement de crédit éprouve des difficultés à tenir ses engagements. En particulier, que peut faire la banque centrale pour éviter ce type de risque ?

1/ En tant que prêteur en dernier ressort la banque centrale peut éviter qu'une panique bancaire conduise à des faillites bancaires en chaîne et à la contraction du crédit


 a) Comment les paniques bancaires peuvent-elles conduire à des faillites bancaires en chaîne ?

Toute la monnaie en circulation aujourd'hui repose uniquement sur la confiance que mettent, dans sa valeur, les acheteurs et les vendeurs des ressources échangées. Le support de cette monnaie, même lorsqu'il n'est pas complètement dématérialisé comme c'est encore le cas des pièces ou des billets (ce qu'on appelle justement la monnaie fiduciaire, du latin "fides", foi, confiance), a très peu de valeur en lui-même par rapport au signe monétaire qu'il porte : les pièces actuelles ne sont pas en or, et la valeur du papier des billets est infime. Car les grands marchands ont été les premiers banquiers : ils ont d'abord émis des billets en échange de l'or qu'ils avaient les moyens de protéger dans leurs coffres, puis ces billets ont circulé de main en main, servant aux échanges, sans que personne réclame l'or.

Aujourd'hui les billets ne sont même plus convertibles officiellement en or, mais les agents économiques peuvent être tentés de convertir une forme monétaire dans une autre, lorsqu'ils ont peur que la première perde de sa valeur. Il peuvent chercher alors par exemple à convertir les écritures de leur compte bancaire en billets, ou à faire transférer ces écritures d'une banque vers une autre, ou même à acheter de l'or ou un autre métal précieux. Lorsque cette peur se généralise à une proportion importante de la population, on est face à une panique bancaire. Les gens perdent confiance dans la monnaie. Comme les banques créent de la monnaie sur les comptes à partir de rien, de la même manière que les grands marchands émettaient davantage de billets qu'ils avaient d'or en réserve, si tous les agents se mettent à vouloir convertir leurs signes monétaires, les banques se trouvent incapables de le faire et font donc faillite. Et comme elles se font régulièrement des prêts entre elles, afin de compenser la monnaie qu'elles créent et de permettre ainsi à leurs clients des échanges entre leurs comptes, la faillite de l'une risque d'entraîner rapidement celle des autres.


 b) Comment les faillites bancaires conduisent-elles à la contraction du crédit, si la banque centrale n'intervient pas ou trop peu ?

Les banques peuvent créer de la monnaie à partir de rien sur un compte bancaire, dès lors que les agents leur font confiance... mais seule la banque centrale est autorisée à créer de la "monnaie de banque centrale", c'est-à-dire les pièces et les billets, ainsi que les écritures sur les comptes à la banque centrale. C'est une sécurité pour les gouvernements, afin de limiter l'influence politique des banques, de freiner l'inflation liée à la création monétaire, et d'éviter la ruine des clients d'une banque discréditée. Mais du coup, les banques doivent se prêter régulièrement entre elles de la monnaie de banque centrale, car il n'y a pas de raison que les paiements depuis les comptes de la banque A vers des comptes de la banque B soient compensés tous les jours exactement par des paiements en sens inverse. Et de temps en temps, les clients ont besoin de billets, sans compter que la banque centrale impose en général aux banques, par sécurité, d'avoir une proportion de monnaie de banque centrale en réserve, par rapport à la quantité de monnaie sur les comptes.

Si les établissements bancaires ne se font plus confiance, à cause de la faillite de certains et du risque de faillite des autres, ils ne se prêtent plus de monnaie de banque centrale, et ne peuvent donc plus pratiquer entre eux la compensation nécessaire pour les paiements des clients d'une banque à ceux d'une autre. La seule source possible pour obtenir de la monnaie de banque centrale est alors... la banque centrale elle-même. Si celle-ci ne joue pas dans ce type de circonstances le rôle de prêteur en dernier ressort, en avançant aux banques autant qu'elles demandent en monnaie de banque centrale, les paiements risquent de devenir plus difficiles pour les clients des banques, et la monnaie ne peut plus jouer son rôle. Avant même d'en arriver là, les banques ont alors du mal en tout cas à pouvoir accorder de nouveaux crédits réellement utilisables, pour faire des paiements acceptés partout. Car plus les banques accordent des crédits et créent ainsi de la monnaie, plus elles ont besoin, dans une certaine proportion, de monnaie de banque centrale.


2/ Pour empêcher qu'un ''credit crunch'' désorganise la production, elle doit cependant d'abord surveiller l'activité des banques


 a) Hormis l'effet de la contraction du crédit, quels sont les autres canaux de transmission d'une crise financière à l'économie réelle ?

Bien évidemment, la baisse du volume des crédits accordés par les banques a un effet direct sur l'économie réelle, c'est-à-dire la production de biens et services : moins d'emprunts possibles, c'est moins de demande, et donc moins de production pour répondre à cette demande. Un cercle vicieux de baisse de la demande et de hausse du chômage peut même alors s'enclencher. A cela s'ajoute la méfiance qui peut également s'installer au sujet des moyens de paiement, et donc freiner les échanges. S'il fallait à la limite revenir à l'économie de troc, il est évident que le volume d'échanges possibles et donc de production serait très inférieur. A l'échelle internationale en tout cas, les possibilités de transactions sécurisées offertes par les banques, entre agents séparés par de longues distances, se trouvent affaiblies par les faillites d'établissements bancaires. Le commerce international en a par exemple souffert pendant la crise de 2008, et donc logiquement le niveau de production dans les pays exportateurs.

Un canal particulièrement important de transmission des crises financières à l'économie réelle est ce qu'on appelle "l'effet richesse". Lorsque la valeur des actifs échangés sur les marchés baisse, parce que les agents économiques sont nombreux à être obligés de vendre leurs actions, leurs obligations, ou leurs propriétés immobilières afin de financer leurs activités, ou de rembourser leurs dettes, cette baisse de valeur diminue la richesse de ceux qui conservent les mêmes actifs dans leur patrimoine. Moins riches, ils ont tendance à moins consommer, et peuvent de toute façon emprunter moins facilement car ils ont moins de garanties (de "collatéral") à donner aux prêteurs. Cela diminue d'autant la demande. Dans un contexte d'incertitude sur l'avenir, les individus ont enfin tendance à épargner davantage, et les entreprises à retarder leurs achats d'équipements.


 b) Pourquoi la banque centrale doit-elle éviter l'aléa moral des banques et ne pas se contenter de prêter en dernier ressort ?

Une grande partie des effets négatifs d'une crise financière peut être évitée si la banque centrale joue le rôle de prêteur en dernier ressort, c'est-à-dire si elle fournit les banques commerciales en monnaie de banque centrale quasiment sans limite, et sans leur demander de garanties vraiment sérieuses en échange de ces prêts. Dans ce cas, la baisse du prix des actifs que les banques ont elles-mêmes obtenues en garantie, à l'occasion des prêts souscrits par leurs clients, est moins handicapante pour elles, et par ricochet pour l'économie réelle qu'elles peuvent continuer à financer. Il y a cependant un double-problème si les banques sont ainsi assurées d'être sauvées par la monnaie de banque centrale. D'une part, cela crée un risque de hausse générale des prix (inflation) à cause de la création monétaire que cela entraîne. D'autre part, cela conduit les banques à prendre de plus en plus de risques, et à prêter à des agents qui ont finalement peu de chances de pouvoir rembourser, et pour des projets dont la contribution à la production est peu efficace.

Cette idée que les grandes banques sont "too big to fail", trop indispensables à l'économie pour qu'on les laisse faire faillite, les place dans une situation d'aléa moral. Elles sont incitées à prendre des décisions qui seraient dangereuses pour elles si la collectivité n'en supportait pas le coût. Dans ce genre de situation, des règles sont nécessaires. C'est pourquoi les banques centrales doivent réclamer régulièrement aux banques des statistiques détaillées sur leur activité, et leur interdire les pratiques trop risquées, comme le prêt à des emprunteurs difficilement capables de rembourser. C'est ce qu'on appelle la supervision bancaire par les banques centrales.


Conclusion   La banque centrale joue un rôle essentiel pour éviter les conséquences potentiellement gravissimes d'une crise bancaire : dans l'urgence, en assurant un refinancement sans limite aux banques commerciales, et en exerçant en temps normal la supervision nécessaire afin que ce genre d'épisode ne se produise pas, en principe. La création accélérée de monnaie de banque centrale en situation de crise peut en effet avoir des conséquences importantes sur l'objectif de stabilité des prix poursuivi par ailleurs. C'est d'autant plus problématique, dans le cas de la BCE, que les traités européens ne lui donnent officiellement pas d'autre rôle que d'éviter l'inflation... même si en pratique, elle n'a pas complètement négligé les objectifs de compétitivité des entreprises de la zone monétaire, de croissance et d'emploi.