Y a-t-il des leçons communes à tirer de la crise des années 1930 et de celle de 2008 ?

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Une crise économique, c'est au sens courant un ralentissement très marqué ou même un recul, sur une durée de plusieurs années, de l'activité de production mesurée par le PIB. Dans un sens plus savant, on emploie aussi ce terme pour désigner le moment, plus limité dans le temps, où une période de ralentissement succède à une periode d'expansion de l'activité. Dans tous les cas et plus particulièrement au sens courant, c'est plutôt une mauvaise nouvelle, et des générations d'économistes ont réfléchi au moyen d'en limiter les effets. De ce point de vue il est utile de comparer les deux grandes crises les plus récentes, avant celle liée à l'épidémie de Covid-19, sur laquelle on manque pour l'instant de recul. Il s'agit de la Grande Dépression des années 1930, et de la Grande Récession de 2008. Comme leur nom l'indique elles ont été différentes, mais il y a aussi des leçons communes à en tirer.

1/ L'instabilité causée par les asymétries d'information sur les marchés est à l'origine de l'éclatement à l'été 2007 de la bulle immobilière américaine, avec ses conséquences ultérieures


 a) Pourquoi les asymétries d'information débouchent-elles sur des prophéties autoréalisatrices et autres mimétismes ?

Le principe d'une asymétrie d'information sur un marché, c'est le fait que le vendeur, ou au contraire l'acheteur de la ressource échangée, en sait plus que l'autre sur ses caractéristiques réelles, en particulier sur l'utilité qu'elle apporte et donc sur sa valeur la plus juste. Sur le marché des titres financiers, en particulier sur celui des actions de sociétés, des acteurs ont un niveau d'information bien supérieur à d'autres. C'est le cas des dirigeants et des cadres de haut niveau des grandes entreprises, mais aussi des fonctionnaires qui participent à l'élaboration de la réglementation, secteur d'activité par secteur d'activité.

Dès lors que certains savent avant les autres, par exemple, que des bénéfices élevés ou au contraire des pertes vont être annoncés, ou encore qu'une société va essayer d'en racheter une autre, ou bien encore que l'évolution de la réglementation va favoriser ou au contraire gêner une activité productive, ils peuvent facilement tirer profit de la hausse ou de la baisse prévisible d'un titre sur les marchés financiers, en particulier la valeur de la part de propriété d'une entreprise (une action). En l'achetant à bas prix pour revendre plus cher par exemple. Ceux qui ont peu d'information sont donc tentés de croire, quand la valeur d'un titre monte, qu'il y a une bonne raison cachée et que cela va continuer. D'où des comportements moutonniers (mimétiques) qui entraînent des corrections brutales, lorsqu'une tendance se retourne. Pour la même raison de mauvaise transparence de l'information, lorsqu'une personne présumée au courant laisse entendre que les prix vont augmenter ou baisser, ceux-ci ont tendance à le faire vraiment, car le titre est davantage acheté ou vendu : c'est une prophétie auto-réalisatrice.


 b) Comment l'éclatement de la bulle immobilière a-t-elle précipité la crise financière de 2008 ?

Le phénomène des prophéties auto-réalisatrices et des comportements mimétiques (moutonniers) sur les marchés financiers a pour conséquence la formation fréquente de bulles sur ces marchés. La valeur d'un titre de propriété a tendance à augmenter jusqu'à un niveau bien supérieur à ce qui serait raisonnable, compte tenu de ce qu'il représente, avant de chuter brutalement de façon symétrique jusqu'à un niveau bien inférieur : c'est l'éclatement de la bulle. Un événement plus ou moins important est en général à l'origine de ce changement de tendance.

Dans le cas de la crise financière de 2008, l'élément déclencheur a eu lieu aux États-Unis à l'été 2007. Cela a été un début de baisse des prix de l'immobilier, c'est-à-dire des prix des maisons et des terrains, qui était lui-même la conséquence logique de la remontée progressive, mais rapide, des taux d'intérêt pratiqués par la banque centrale américaine, entre 2005 et 2007. Les banques, qui avaient accordé beaucoup de prêts risqués ("subprimes") à des ménages pauvres, étranglés par la hausse de leurs taux variables, ont commencé à avoir du mal à se rembourser en revendant les maisons des emprunteurs défaillants. Elles ont eu ainsi beaucoup plus de mal à accorder de nouveaux crédits, d'autant qu'elles ont perdu confiance les unes envers les autres, et n'ont donc pu s'approvisionner elles-mêmes en monnaie qu'auprès de la banque centrale. La contraction du crédit a ensuite fait baisser la demande globale, donc l'activité des entreprises.


2/ Le rôle des faillites bancaires et les autres mécanismes communs aux deux grandes crises ne les rendent pas identiques pour autant, du fait notamment de la réaction rapide des Etats en 2008


 a) Quels sont les points communs entre la crise de 2008 et celle des années 1930 ?

Dans le cas de la crise des années 1930 comme dans celle de 2008, la baisse de la production a été entraînée par un cercle vicieux de baisse de la demande, et la faillite d'une grande banque a joué un rôle moteur. Le krach d'octobre 1929 aux Etats-Unis, sur le marché des actions, a été précédé comme le krach immobilier américain de l'été 2007 par un durcissement de la politique monétaire de la banque centrale, au cours des mois précédents. L'éclatement de la bulle boursière des années 1920, comme celui de la bulle immobilière des années 2000, du fait de financements devenus ainsi plus difficiles, a ensuite fragilisé les banques qui avaient auparavant prêté un peu trop facilement, sans garanties suffisantes pour pouvoir se rembourser. L'appât du gain pousse assez facilement les banquiers à prendre ce type de risque, car ils comptent sur le soutien de l'Etat, persuadés qu'on ne les laissera pas faire faillite à cause des conséquences ("too big to fail").

En septembre 2008, après avoir décidé de soutenir l'établissement de banque-assurance AIG, le gouvernement américain a décidé de faire un exemple en laissant la banque Lehmann Brothers faire faillite. Dans la crise des années 1930, la faillite de la banque autrichienne Kreditanstalt a joué un rôle comparable. La perte de confiance des banques entre elles a ensuite contribué à la contraction du crédit, qui a elle-même fait baisser la demande globale de produits, faute de financements. D'où une baisse de la production et une montée du chômage, aggravant encore la baisse de la demande.


 b) Quelles sont les différences entre la crise de 2008 et celle des années 1930 ?

Le rôle central de la demande, commun au mécanisme de la crise de 2008 et à celui de l'effondrement des années 1930, distingue ces deux crises de celle, plus récente, due à l'épidémie de Covid-19 en 2020 : l'effondrement de la production en avril 2020 a été causé directement du côté de l'offre, par la peur des entreprises d'être responsables d'une contamination de leur personnel, en restant ouvertes. Il y a cependant aussi des différences profondes entre la crise des années 1930 et celle de 2008, en termes d'intensité et de durée notamment, grâce à la réaction différente des politiques nationales, à la fois dans le domaine monétaire, budgétaire, et commercial.

Les banques centrales, tout d'abord, ont joué en 2008 leur rôle de prêteur en dernier ressort, ce qu'elles n'avaient pas fait dans les années 1930. Instruites par l'expérience, elles ont ainsi largement atténué la contraction du crédit et son impact dramatique sur la demande. Les banques commerciales ont pu se procurer auprès de la FED aux Etats-Unis, ou de la BCE en Europe, la monnaie de banque centrale qu'elles refusaient de se prêter entre elles, pour faire face à leurs engagements. Les gouvernements ont en outre pratiqué des politiques budgétaires de stimulation de la demande en 2009 et 2010, avec des mélanges variés selon les pays de baisses d'impôts ou de hausse des dépenses, pour soutenir la consommation ou l'investissement. Enfin ils n'ont pas freiné l'activité des entreprises en fermant les uns et les autres leurs frontières au commerce international, selon une logique non coopérative et destructrice à l'échelle globale.


Conclusion   S'il y a une leçon à tirer de la comparaison de la crise de 2008 et de celle des années 1930, c'est que l'action des pouvoirs publics est déterminante pour éviter l'aggravation d'un cercle vicieux de baisse de la demande globale et de hausse du chômage. Et cette action doit être appropriée, avec une politique monétaire et une politique budgétaire de soutien à la consommation et à l'investissement, concertées si possible avec les principaux partenaires commerciaux, plutôt qu'un repli protectionniste sur la production et la consommation nationales. Cela ne signifie pas bien sûr que la création monétaire soit un remède magique à toutes les crises, compte tenu de son effet inflationniste en cas de niveau insuffisant de l'offre plutôt que de la demande. De ce point de vue, la réponse à la crise du Covid-19 en 2020, plutôt du côté de l'offre, était plus délicate à choisir, d'où d'ailleurs une hésitation initiale de la BCE.